Heureux qui comme Kimto…
« La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie; elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. » Léo Férré, Extrait de la préface de « Poète… vos papiers! », 1956.
C’est par un matin froid d’octobre, tandis qu’à mon habitude je profitais de l’air marin du côté de l’ancien port, que je le vis arriver. Je ne distinguais d’abord au loin que des contours estompés dans la brume. Mais, très vite, les lignes se précisèrent, formèrent la silhouette d’un bateau, puis ce fut une voile, deux puis trois grandes voiles, et enfin le navire tout entier qui se découvrit à mon regard.
Nous n’étions pas beaucoup à assister à cet évènement, il y avait peut-être deux pauvres gars qui, comme moi, venaient ici le matin pour attendre je ne sais quoi. Nous le vîmes accoster au vieux port abandonné, ce port que j’observe en silence chaque matin depuis plus de vingt ans se faire ronger par la rouille (cette saleté de gangrène), celui-là même qui n’a plus vu ni bateau ni mouette depuis belle lurette et qui, en l’espace d’un instant, retrouva comme un semblant d’éclat. Les voiles une fois rentrées, un homme déroula l’ancre qui immobilisa le navire puis gagna le quai par une petite passerelle, avant de s’enfoncer vers le cœur de la ville pour disparaître entre ses murs ; j’aurais presque cru voir Ulysse de retour à Ithaque.
Ce fut par ce matin froid d’octobre, le 29 du mois si mes souvenirs ne me trompent pas, que Kimto Vasquez, de son vrai nom Joaquim Tomas Ribeiro, revint au port pour livrer son premier album solo, « L’Océan ». Onze titres qui sonnèrent comme un retour au pays après plus de six ans d’absence. Onze titres qui résumeront une partie de ce long voyage en solitaire, pour un album qui marque résolument la fin d’une époque et le début d’une autre:
«L’innocence est bien morte mais pas l’amour, c’est la première fois que j’assume le mot retour.»
Je distinguais une différence marquante d’avec le Kimto, membre de Less du Neuf, laissé derrière moi. Je réalise aujourd’hui qu’une petite voix suffit à changer un homme en profondeur. Cette petite voix, que l’on retrouve dès les premières secondes de l’album, c’est celle de son fils. Une chanson lui est ainsi dédiée alors que nous pénétrons une part de l’intimité de l’auteur:
«Ils te chanteront l’éphémère, je te chante l’universel, ils te chanteront leurs ornières, leur vision superficielle, je te chante le ciel mon garçon, reçois donc cet océan d’amour en protection»
C’est avec plus de certitudes sur ce qui l’entoure qu’il est revenu s’exprimer en terre ferme. Sa voix rauque et ébréchée nous arrive comme victorieuse d’un souffle du ressac, tandis que les intonations oscillent à la manière des vagues. On découvre un poète affirmé, sûr de ses mots et de la direction choisie:
«Aujourd’hui j’existe, je suis ami des anges, d’un bonheur triste, d’un malheur étrange, Dieu merci, aujourd’hui encore je me sens béni je me sens sur mon chemin, le mien, sans détour sans raccourci.»
(Ami des Anges)
De l’amour et des certitudes donc pour celui qui «a le cœur comme l’océan», mais aussi et surtout de nombreuses questions orphelines qu’il lui a fallu formuler avant d’espérer rentrer chez lui en homme libre:
«Est-ce renier, Est-ce pire de perdre à chercher, vouloir dire juste et pas juste dire. Effleurer la vérité de ma putain d’humanité.»
(Force d’un rap Fragile).
C’est entre la France et le Portugal que Kimto a grandi. Né en France en 1975, il est envoyé par ses parents au Portugal après le CP, chez ses grands parents, pour poursuivre sa scolarité. Il y passera quatre ans et reviendra dans l’Hexagone à l’automne 1986. C’est donc tout naturellement qu’un morceau écrit en Portugais paraît sur l’album:
«As raízes sempre à esquerda do meu peito»
(«Les racines sont à gauche de ma poitrine»)
La suite, les amateurs de rap la connaissent. Less Du Neuf sortira trois albums dont certains morceaux resteront encore longtemps dans nos têtes: «dernière fleur», «Le temps d’une vie entière», «l’étranger» et j’en passe.
«Less du Neuf était une belle, dense et intense aventure de jeunesse qui a eu la fin qu’elle méritait. J’y ai mis toute mon énergie, mon temps et ma sensibilité artistique. Mais la cohérence et la cohésion nous ont fait défaut. Aucun regret même si ça a été un vrai deuil. Mon retour est la fin du deuil, une succession d’heureux accidents et d’une passion tenace. C’est mon destin. J’ai le sentiment de revenir de très loin et d’avoir failli ne jamais rien faire d’autre en musique à part, peut-être, pour mon propre plaisir.»
L’artiste a pris du recul et la remise en question semble permanente, presque éternelle. C’est ce que nous enseigne le dernier morceau de l’album, «Amen», qui clôt avec ouverture un album complet. Entre le triste constat d’un monde perdu et de solides convictions, ce morceau, comme cet album, est aussi le moyen pour lui de remettre les points sur les i et d’achever un bilan sincère et bien rempli.
«Que la paix soit sur nous tous, esclaves modernes, désinformés, cherchant seuls, armés d’une p’tite lanterne. Dressés les uns contre les autres, nos colères sont légitimes, et nous frôlons l’abîme…»
Et puis, il y a le temps et la mémoire. Le temps, c’est celui qui répète en refrain les «matins ordinaires», celui qui martèle sans cesse notre quotidien avec une régularité parfois assomante.
La mémoire, c’est la conscience de ce temps qui passe, et c’est en partie elle qui nous constitue.
«Le temps donne raison au brave, la raison donne au brave du temps, Le brave est moins patient qu’avant mais il a le cœur comme l’océan.»
(le brave).
Et le temps fait parfois bien les choses.
Enfin, comment terminer ce texte sans citer Bruno Layval qui a réalisé le visuel de l’album? A l’encre de Chine, l’artiste participe au voyage à sa manière. Les traits sont sûrs et maitrîsés, le style vient d’ailleurs, du côté de l’extrême-Orient, peut-être du Japon. Ce n’est pas le même océan, pourtant, leurs univers se rencontrent et s’imbriquent.
Ce voyage, raconté par Kimto, c’est l’aventure d’un homme parti seul en mer. Cet homme, c’est lui, c’est vous, c’est moi et ce voyage est le nôtre. Un bilan introspectif et des sentiments clamés au travers de nombreuses images rendent les textes justes et aboutis. La voix et les mélodies apportent l’émotion et nous voilà partis en mer.
J’observais le port en silence et me surpris soudain à sourire; Dieu sait que cela faisait longtemps: «Un bateau a suffit à rendre au port sa fierté», pensai-je en tirant lentement sur ma pipe. «Comme quoi, il suffisait d’un rien».
Kimto Vasquez, merci pour ce que tu nous a laissé, puisse ta voix dépasser les enceintes hermétiques des villes pour venir «réveiller un tas d’vivants morts».
La b(r)ise et bon vent.
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Par Arthür L’erreür.